Londres : dans l’atelier du peintre Frank Bowling, figure de l’art contemporain
Figure de l’art contemporain britannique et maître de la couleur, le peintre Frank Bowling accède enfin, à 91 ans, à la reconnaissance de la scène française grâce à l’exposition que lui consacre la galerie Hauser & Wirth Paris jusqu’au 24 mai prochain. Nous l’avons rencontré dans l’atelier londonien où il continue de travailler chaque jour, à l’aube de cet événement émouvant.

Pour Frank Bowling, la pratique artistique n’a pas toujours relevé de l’évidence. Né en 1934 au Guyana d’une mère couturière qui maniait les tissus avec grâce, le jeune garçon aspire d’abord à devenir écrivain. Poète plus précisément. « La poésie me semblait être la meilleure façon de me parler à moi-même, et de parler de moi », explique-t-il. À 19 ans, il prend, seul, la route de Londres pour concrétiser son rêve et s’engage, en parallèle, dans la Royal Air Force. C’est là qu’il rencontre l’architecte et auteur Keith Critchlow, qui lui présente ses amis étudiants au Royal College of Art et, surtout, l’initie aux musées, aux maîtres anciens comme Titien, ainsi qu’à William Turner, John Constable et Thomas Gainsborough. « Dès que j’ai commencé à visiter des galeries d’art, je suis devenu passionné de peinture, se souvient le nonagénaire. Peindre est subitement devenu un besoin viscéral. »
D’abord figuratif, l’art de Frank Bowling prend racine dans le réel, dépeint des expériences vécues et des souvenirs personnels plus ou moins heureux. Avant que la découverte de New York, où le peintre s’installe en 1966, ne bouleverse sa pratique. Désormais proche du courant moderniste, l’artiste abandonne progressivement la figuration au profit d’œuvres davantage abstraites et poétiques qui font, de la peinture, des expérimentations matérielles et surtout de la couleur, les véritables sujets de son œuvre. Grand improvisateur, Frank Bowling multiplie les accidents créatifs et les jeux de hasard. Comme avec sa série « Poured Paintings », qu’il réalise en déversant de la peinture sur des toiles, à plat, et à plusieurs mètres de hauteur. S’ensuivent d’autres tentatives audacieuses : éclabousser la peinture, user de collages et de pochoirs, ajouter des textiles et des objets divers à ses toiles, jouer des textures. « Je prends des risques avec les anciennes méthodes et processus, j’aime les pousser à l’extrême en cherchant constamment à me réinventer et à me surprendre », avance-t-il. Et même s’il est aujourd’hui considéré comme une figure de l’art contemporain, le peintre continue de venir chaque jour dans son atelier londonien pour travailler et expérimenter, avec une insatiable opiniâtreté.
Si Frank Bowling admet que son héritage caribéen et son « expérience noire » imprègnent sa pratique artistique et les grandes thématiques qui la traversent — il a notamment abordé les questions d’identité et de cultures des diasporas noires —, il refuse pour autant que son œuvre soit lue uniquement à la lumière de questions raciales ou sociales. « Mon art parle de peinture, pas de politique », clame-t-il. Reste que la reconnaissance tardive de Bowling par les grandes institutions culturelles, en dépit du consensus autour de sa pratique singulière et de son apport à l’histoire de l’art, pose question.
Après avoir bénéficié d’une vaste rétrospective à la Tate, à Londres, en 2019, Frank Bowling est à l’honneur, cette saison, d’une exposition dans l’antenne parisienne de la galerie Hauser & Wirth. Sobrement intitulé « Collage », cet accrochage rassemble une série d’œuvres lumineuses et saisissantes faites de toiles cousues, de ficelles ou encore d’objets trouvés. Certaines, monumentales, ont été créées spécialement pour l’exposition. Cette pratique, d’ailleurs, traverse l’ensemble de la carrière du peintre, remontant aux années 1950, lorsque Frank Bowling découvre les découpages d’Henri Matisse et plus particulièrement l’œuvre L’Escargot, et réalise ses premières expérimentations dans ce domaine. À la fois délicate et puissante, cette exposition résonne comme un bel hommage. « L’accomplissement d’une vie », nous confie l’artiste, qui reconnaît la place à part de la scène parisienne dans le paysage artistique et qui, admirable, conclut notre entretien ainsi : « Mon seul vrai désir est d’être dans mon studio à peindre, à chercher, encore, quelque chose de nouveau à faire émerger de la peinture. »