[Interview] Alexandre Grondeau : “L’histoire de Tonton David est folle, autant au début qu’à la fin”
Quatre ans après la disparition de Tonton David, une biographie revient sur la carrière d’une des figures de proue du reggae en France. Sous la plume d’Alexandre Grondeau, le musicien reprend vie. On le retrouve lors des premiers jours d’une […]
![[Interview] Alexandre Grondeau : “L’histoire de Tonton David est folle, autant au début qu’à la fin”](https://www.bewaremag.com/wp-content/uploads/2025/02/Photo_Auteur_DR-1160x773.jpg)
Quatre ans après la disparition de Tonton David, une biographie revient sur la carrière d’une des figures de proue du reggae en France. Sous la plume d’Alexandre Grondeau, le musicien reprend vie. On le retrouve lors des premiers jours d’une carrière fulgurante, à son déclin inattendu qui ne l’empêche pas de continuer à se produire, porté par le projet d’un come-back qui n’a jamais eu lieu.

Disparu le 16 février 2021, Tonton David avait marqué toute une génération de mélomanes au début des années 1990 et 2000. Tête d’affiche de la compilation “Rapattitude”, qui a propulsé, en 1990, les musiques urbaines sur la scène française, il s’était imposé comme chef de file du reggae français. Porté par les tubes “Peuples du monde” (1990) comme “Il marche seul” (1994), le Réunionnais qui a grandi à Paris gagne rapidement le cœur du grand public, séduit par sa personnalité solaire. Ce qui ne l’empêche pas de se faire rattraper par son passé, puis par ses finances.
Éloigné des projecteurs, exilé heureux en Moselle, il préparait discrètement – et assidûment – son grand retour, avant d’être coupé dans son élan par un accident vasculaire cérébral. Une mort bien ordinaire, loin du destin extraordinaire de l’artiste trop facilement oublié. Pour lui rendre hommage comme pour marquer cette page de l’histoire de la musique française, Alexandre Grondeau, universitaire et spécialiste des musiques underground, a signé une biographie de l’artiste, “Tonton David, le prince des débrouillards”, disponible en librairie.
Beware : Pourquoi avoir décidé d’écrire sur Tonton David ?
Alexandre Grondeau : Le choix du sujet était double. La première raison, c’était la disparition tragique de Tonton David, en 2021, qui était un des personnages phares du début des musiques urbaines au début des années 1990.
Et la seconde raison, est plus d’ordre institutionnel. Quand il est décédé tragiquement, malgré l’importance de sa carrière, la ministre de la Culture de l’époque (Roselyne Bachelot, Ndlr) a oublié de lui rendre au moins un petit hommage, comme il est coutume. Quatre ans après sa mort, il n’y a toujours rien eu. Il fallait quand même rendre justice à sa carrière et à sa personnalité. Il faisait partie de la bande-son de la vie de beaucoup de Français.
Vous avez écrit après la mort de Tonton David. C’est toujours plus complexe d’écrire sur quelqu’un après sa disparition…
Effectivement, d’un point de vue théorique c’est difficile. Mais pour moi, c’était plus simple. Ayant créé le site reggae.fr en 1998, j’avais accès aux personnes autour de qui il a été, et avec qui il a joué et produit. Même s’il y en a qui avaient un peu disparu de son entourage, notamment certains producteurs de ses albums que j’ai retrouvé dans le Bronx (New York), un au fin fond du Sénégal… Il y avait quand même un travail d’enquête important, mais je suis universitaire donc ça ne me fait pas peur.
D’ailleurs, j’ai rencontré Tonton David pour la première fois en 1998, puis régulièrement dans les backstages. Et puis il m’a fait le plaisir et l’honneur de participer au film documentaire que j’ai réalisé en 2017, “Reggae Ambassador, 100% reggae français”. C’est quelqu’un avec qui j’avais beaucoup d’affinité.

Pour vous, quels ont été les entretiens les plus marquants ?
Il y a d’abord un entretien avec des personnalités connues dans le milieu qui m’a paru important, c’était Pierpoljak. Il a connu David au début de sa carrière, et il s’est livré sans fard sur leur relation. David l’a aidé quand il était vraiment en galère, qu’il n’avait pas de contrat, pas de sou, pas de maison. Tout au long de leur vie, ils se sont côtoyés et épaulés. C’était vraiment très touchant.
Et au niveau des personnes moins connues, celui qui me semble le plus poignant c’est celui avec Jérémy Tida, son avant-dernier manager, pendant 10 ans. Il a connu toutes les années galère de David, pendant lesquelles il a composé cet album qu’il n’a jamais réussi à sortir. Ce qui était très émouvant, c’est de voir quelqu’un qui était en haut du Top 50, chez les Enfoirés, à Taratata, chez Jacques Martin… Qui a vraiment fait la tournée des grandes émissions de télé, et qui est reparti de zéro en Moselle. Échanger avec lui sur ce quotidien d’une star déchue en quelque sorte, c’était très émouvant aussi.
“C’est la trajectoire d’un jeune immigré pauvre qui va s’en sortir. Et puis, au firmament, il va tout perdre”
Pour vous, quel moment de sa carrière serait le plus important ?
Pour moi, ce serait le moment où il est à la caisse d’une soirée qu’il organise, il fait les entrées. Un mec de la télévision arrive parce qu’il fait un reportage sur les milieux de la nuit Afro, à Paris. Il lui dit “Je voudrais trouver un chanteur reggae, tu sais s’il y en a un qui passe ?” David répond “Repasse vers deux heures du matin, tu vas voir ça va être pas mal.“
Les mecs reviennent et c’est Tonton David qui est monté sur scène pour passer à la télévision. Et à ce moment-là, le mec derrière la caméra, c’est Benny Malapa, qui va être le producteur de “Rapattitude”. C’est une histoire complètement dingue, digne d’un film. Son destin change parce qu’il a eu assez de roublardise pour dire à une caméra de venir le filmer. Une chose en amenant une autre, il se retrouve à être mis en avant sur la première compilation de rap français.
Tonton David, c’est quelqu’un qui accède à la célébrité alors qu’il vient d’un milieu très défavorisé, avant de tout perdre. Il y a presque quelque chose qui relève de la lutte des classes dans son destin…
On va dire que, si vous regardez les caractéristiques sociales, les origines de David et l’époque où il est né, il y a 0% de chance que cette personne-là, il lui arrive qui lui est arrivé, c’est-à-dire de devenir la star qu’il a été. Quelque part, c’est une success story incroyable.
Et en même temps, quand il est tout en haut de l’affiche, qu’il est partout, il y a tellement peu de chance qu’il revienne à zéro, dans la galère et la misère. Ça aussi, c’est vraiment incroyable. Son histoire est folle, autant au début qu’à la fin.
Il y a, en tout cas, la trajectoire d’un jeune immigré pauvre qui a grandi dans des conditions difficiles qui va s’en sortir. Et puis, au firmament, il va tout perdre, probablement pour des raisons qui sont liées à sa condition, à ses origines… Il y a une sacrée trajectoire sociale.
“En tournée, il chantait Aznavour. Il adorait ça”
On remarque aussi, à la lecture de cette biographie, à quel point le traitement médiatique des musiques urbaines a changé.
Ce qui est sûr, c’est que la manière d’appréhender l’émergence et l’affirmation du rap en France au début des années 1990 et en 2020/2025, n’est pas du tout la même. Au début des années 1990, quand le hip-hop et le reggae émergent et s’affirment, c’est un souffle artistique incroyable dans un univers musical qui avait besoin de ça.
Dans le cas de Tonton David, c’est aussi la première fois qu’on parle, à la télévision, de manière positive d’un rasta noir pauvre. Et pourquoi ? Parce qu’il avait un art de la mélodie et de l’écriture incroyable. Et puis, Tonton David réussit à s’imposer parce qu’il avait une personnalité, un charisme hors du commun.
Le regard des années 1990, est bienveillant par rapport à l’hyper médiatisation du hip-hop parce que c’est nouveau. Aujourd’hui c’est devenu la musique n°1. Et je pense qu’en 2025, le regard un peu méprisant qu’il peut y avoir vis à vis des musiques urbaines est plus lié à une sorte de snobisme intellectuel.
Une autre chose qui revient, c’est qu’il semble avoir une réponse presque anti-américaine à chaque fois qu’il se retrouve face à un journaliste qui confond hip-hop et reggae.
Il défendait deux choses. D’abord, le fait qu’il faisait du reggae, pas du hip-hop, le premier est jamaïcain, le deuxième est Américain. Ce n’est pas pareil.
Et puis il était, cheville au corps, Français. Il adorait la France, toute sa carrière, il l’a parcourue, même dans les moments les plus difficiles dans des fêtes de village. Il adorait ça, c’était un grand amoureux de la France. En tournée, il chantait Aznavour. Il adorait ça.
“On n’a jamais été aussi proche de la sortie de son album posthume”
Qu’est-ce qui surprend, encore aujourd’hui, dans l’histoire de Tonton David ?
Ce qui est très surprenant avec Tonton David, c’est que vous écoutez aujourd’hui ses principaux titres, et vous constatez leur incroyable acuité. Ils restent d’actualité. Et ça, c’est vraiment un indicateur de la carrière d’un artiste qui a compté dans l’histoire de la musique française. Ses paroles résonnent en 2025 comme elles le faisaient en 1990.
Est-ce que vous savez où en est l’album posthume tant attendu ?
Normalement, la famille devrait communiquer dans les prochaines semaines, les prochains mois. L’album est terminé, maintenant on attend de voir. Au niveau juridique, il y a des choses à régler. Je ne sais pas exactement où ils en sont, mais on n’a jamais été aussi proche de la sortie. En tout cas, je l’espère de tout cœur parce que les gens l’attendent.
“Tonton David, le prince des débrouillards”, Alexandre Grondeau, édition La lune sur le toit, disponible en librairie.