Interview : l’artiste Laurent Grasso signe une grande collaboration avec Louis Vuitton
L'étroite relation tissée entre Louis Vuitton et l'artiste contemporain Laurent Grasso depuis plusieurs années trouve son apogée dans la campagne Louis Vuitton Femme printemps-été 2025. Connu pour ses paysages atmosphériques et sa pratique artistique plurielle, l'artiste français a ainsi confié à la maison de mode trois nouvelles œuvres de sa série "Studies into the Past", évocations énigmatiques de la nature. Un dialogue autour de la temporalité s’initie entre ces peintures déclinées en toile de fond de la campagne et les silhouettes de Nicolas Ghesquière, incarnées par Lisa et Saoirse Ronan. Il nous raconte.


Laurent Grasso, vous collaborez depuis déjà plusieurs années avec la maison Louis Vuitton. Où cette dernière collaboration trouve-t-elle sa source ?
La première fois que j’ai montré la série de peintures Studies into the Past, c’était à l’espace culturel Louis Vuitton, au dernier étage de leur boutique sur l’avenue des Champs-Élysées, en 2009. La Fondation n’existait même pas encore. C’est d’ailleurs avec l’équipe sur place que j’ai décidé du titre de cette série. Cette fois, c’est le créateur Nicolas Ghesquière qui s’est rapproché de mon studio pour initier une discussion. Dans un premier temps au sujet de la collection de vêtements, puis de la campagne. Ce sont presque deux collaborations différentes.
On retrouve dans cette campagne trois œuvres de votre série « Studies into the Past ». Quelles sont les inspirations de cette série et que représente-t-elle ?
Mon travail est polymorphe. En premier lieu je fais des films, qui sont ensuite montrés sous forme d’installations. Puis se décline toute une série d’objets, des peintures, des sculptures, des néons. La série Studies into the Past, commencée il y a une quinzaine d’années, reprend des phénomènes que l’on retrouve dans mes films. Ce sont des situations intrigantes. En l’occurence dans la campagne Louis Vuitton, on retrouve un rectangle futuriste superposé sur des paysages idéalisés, sur une nature paradisiaque. Dans la collection de mode, on retrouve des sortes de feux verticaux qui apparaissent dans la nature. Ces peintures sont aussi inspirées de l’école américaine Hudson River School, et notamment de Frederic Edwin Church qui est un de ses représentants.
Vous qui êtes si pluridisciplinaire, quel lien entretenez-vous avec le monde de la mode ?
Le rapprochement entre le milieu de la mode et celui de l’art s’est opéré et amplifié ces dernières années. De mon côté, j’étais étudiant aux Beaux-Arts de Paris, qui était à l’époque un lieu très utilisé pour les défilés et surtout très proches de beaucoup d’univers différents. J’en ai été nourri et j’ai donc aussi eu la possibilité d’assister à beaucoup de défilés. J’ai ensuite étudié à la Central Saint Martins où la mode était une des spécificités et un des enjeux de l’école. Il y a toujours eu cette proximité naturelle avec le monde de la mode.
En termes créatifs, ce que fait Nicolas Ghesquière dans un défilé, c’est pour moi un espèce d’opéra visuel et musical. C’est une performance dont j’ai pu apprécier à nouveau toute la force et l’ambition en assistant au défilé en octobre dernier. Le fait qu’il collabore avec différents artistes pour ses défilés est aussi le signe d’un intérêt très fort pour l’art contemporain. La relation a donc été naturelle.
Etait-ce la première fois que vous initiez un travail autour du vêtement pur ?
J’ai réalisé une collaboration autour d’une montre et j’avais réalisé, il y a plusieurs années, des t-shirts pour Agnès B mais cela n’avait rien à voir avec ce projet-ci. Pour ce projet avec Louis Vuitton, je n’ai fait que donner mes peintures. Tout le reste n’a été que découverte. Dans ce projet de collection, la peinture devient le vêtement et inversement. Mes peintures ne font pas office de print plaqué. C’était très intéressant de voir mes œuvres flotter autour des corps et êtres portées. La manière dont Nicolas Ghesquière a utilisé mes peintures a été pour moi très impressionnante.
Avez-vous laissé entière carte blanche à Nicolas Ghesquière dans l’utilisation de vos peintures ? Ou était-ce au contraire un vrai travail collaboratif ?
Nous avons mis à disposition toute la matière nécessaire pour que Nicolas Ghesquière puisse faire son travail. Nous avons pu intervenir sur des questions colorimétriques, et non pas sur la structure du vêtement. Mais je prends ça comme une forme d’hommage à mon travail, ce fut un vrai plaisir de pouvoir confier mes œuvres et de voir apparaître ses propres créations. J’avais toutes les raisons de faire confiance à Nicolas Ghesquière, c’est une des personnes les plus respectées dans le monde de la mode. Nous partageons un intérêt commun très fort pour le voyage dans le temps, la science fiction et la force des lieux.
En plus de la collection de vêtements, Louis Vuitton déploie une grande campagne en ligne, sur les façades des villes, en magasins. Est-ce une façon aussi pour vous de toucher d’autres publics, d’ouvrir votre art à d’autres sphères ? Une forme de reconnaissance aussi ?
De par ma pratique, j’ai toujours voulu sortir du white cube et intervenir à différents endroits. C’est notamment pour cela que j’ai fait des commandes publiques — dont certaines sont encore visibles à Paris par exemple —, j’ai toujours été à la recherche de contextes pour créer des énigmes visuelles dans le paysage public. J’ai fait quelques projets aussi avec Peter Marino pour la boutique Louis Vuitton place Vendôme. C’est aussi une volonté de m’inscrire dans des contextes moins confortables ou plus risqués pour capter d’autres publics et partager mon travail dans d’autres environnements. Je n’ai jamais considéré les musées ou les galeries comme des points d’arrivée ultimes. Cette campagne est l’occasion de montrer ces peintures dans de très bonnes conditions, j’ai été assez ébloui par le résultat.
Qu’incarnent pour vous les deux égéries de cette nouvelle campagne, Lisa et Saoirse Ronan ?
Ces deux femmes portent une histoire très forte. Mon travail est très populaire en Asie, j’ai participé à beaucoup d’expositions en Corée, à Hong Kong, au Japon. C’est donc assez amusant de se retrouver avec Lisa, égérie d’un mouvement musical très influant et assez bluffant. C’est une coïncidence intéressante. Quant à Saoirse Ronan, elle est issue d’un univers duquel je me sens évidemment très proche, le cinéma. Toutes deux incarnent aussi le soft power. Je trouve cette double connexion très forte et intéressante. J’aime l’idée que plusieurs lectures traversent mes œuvres ou un même objet.